Claude Brasseur, le souvenir d'un acteur populaire et pudique
Par Céline B. pour BU
Il s'était construit un prénom pour ne plus se perdre dans les méandres d'un héritage familial lourd à porter. Claude Brasseur, acteur audacieux et populaire, s'est éteint à l'âge de 84 ans après une carrière à rebondissements, menée par le goût du risque et du plaisir de jouer.

L'envie de se faire un prénom
Issu d'une lignée d'acteurs, fils de Pierre Brasseur et d'Odette Joyeux, filleul d'Ernest Hemingway et bientôt père d'Alexandre, Claude Brasseur aurait pu s'égarer dans une brèche déjà créée sans chercher à creuser sa propre voie. Né à Neuilly-sur-Seine en 1936, il se rappelle de parents absents, qui se désintéressent de lui, et vivent un divorce houleux alors qu'il a tout juste un an. Toute son enfance, il voit défiler dans le salon parental d'illustres figures comme Jean Vilar ou Jean-Paul Sartre et, malgré l'arrêt de ses études en classe de seconde, il devient l'assistant du photographe Walter Carone chez Paris Match grâce à son père. Mais l'aventure tourne court : en plein entretien avec Elvire Popesco, celle-ci a le coup de cœur pour lui et lui propose de signer un contrat de comédien tandis qu'elle vient d'acquérir le Théâtre de Paris. Dès 1955, il se lance alors sur les planches dans le Judas de Marcel Pagnol.
« Je crois que l’on souffre de perdre ce que l’on a connu. Mais je n’ai jamais connu l’amour de mes parents, que ce soit l’amour maternel ou l’amour paternel. Ils ne se sont jamais beaucoup occupés de moi, ils avaient bien autre chose à faire ... »
Après son entrée au Conservatoire, il démarre son parcours cinématographique dans Rencontre à Paris de Georges Lampin. En 1959, il est le fils de Jean Gabin dans Rue des prairies de Denys de La Patellière où il incarne un coureur cycliste. Pour ce passionné de sport ayant failli embrasser une carrière professionnelle (il sera sélectionné aux Jeux Olympiques d'hiver de 1964 dans l'équipe de France de bobsleigh et remportera le Paris-Dakar avec Jacky Ickx en 1983), cette expérience représente du pain béni qui lui met définitivement le pied à l'étrier. Tandis qu'il croise son père Pierre chez Georges Franju (Les Yeux sans visage, 1960) et Michel Deville (Lucky Jo, 1964), c'est la télévision qui lui offre ses premiers grands rôles dans Le Mystère de la chambre jaune, où il joue Rouletabille, et Dom Juan ou le Festin de pierre en 1965.

L'heure de la consécration
De 1971 à 1973, il endosse le costume de Vidocq dans la série policière de Georges Neveux et Marcel Bluwal qui rencontre un grand succès. Au cinéma, il faut attendre Les Seins de glace, adaptation du roman de Richard Matheson, Someone Is Bleeding, par Georges Lautner, pour qu'il obtienne enfin un premier rôle à sa mesure. Deux ans après, il connaît la consécration pour Un éléphant, ça trompe énormément d'Yves Robert et reçoit le César du meilleur acteur dans un second rôle. Sur un scénario de Jean-Loup Dabadie, le cinéaste réalise un film d'amis où le groupe composé de Jean Rochefort, Guy Bedos, Victor Lanoux et Claude Brasseur reste dans les mémoires. Une suite, Nous irons tous au paradis, voit le jour un an plus tard.
« Les acteurs ont trop souvent des plans de carrière. Mon agent m’avait poussé à refuser Un éléphant, ça trompe énormément. Il pensait que cela allait déplaire à ma clientèle car c’était un homosexuel ! Je lui ai dit qu’il me confondait avec un épicier et je l’ai viré. Il y a trop peu de films qui font du bien pour les manquer. »
Pour celui qui refuse de choisir un plan de carrière, les opportunités se multiplient, la diversité de ses rôles également. Tour à tour policier, bandit, avocat, détective ou pilote de ligne, il enrichit son registre d'une palette de performances plus différentes les unes que les autres. En 1979, il surprend dans Une histoire simple de Claude Sautet en amant de Romy Schneider où il est doublement nommé aux César. L'année suivante, il est enfin récompensé, pour la première et dernière fois, par un César du meilleur acteur en jouant le commissaire Fush dans La Guerre des polices. Il incarne ensuite le père volage mais attachant de Vic dans La Boum, accédant à un succès populaire qui lui permet de toucher un plus large public.

Un touche-à-tout modeste
Éclectique dans ses choix, il n'abandonne jamais le théâtre où il enchaîne des classiques, puis Le Souper de Jean-Claude Brisville de 1989 à 1991 et Le Dîner de Cons de Francis Veber en 1993. Sur grand écran, il collabore deux fois avec Jean-Luc Godard : amoureux d'Anna Karina aux côtés de Sami Frey dans Bande à part en 1964 avant Détective en 1985 où les relations se tendent avec le réalisateur. Entre passages à vide et films méconnus mais notables (Une Affaire d'hommes de Nicolas Ribowski où il fait face à Jean-Louis Trintignant et Josepha de Christopher Franck en couple avec Miou-Miou), il conserve son appétence pour des projets variés, ne se laissant pas enfermer dans des cases prédéfinies.
« Dans mon métier, j’ai pris du plaisir, de l’amusement. Avec humilité, j’ai appris des choses. Et j’aimerais toujours baguenauder dans les trois disciplines : le cinéma, le théâtre et la télé. »
Contre toute attente, il revient sur le devant de la scène en 2006 grâce à la saga Camping de Fabien Onteniente et son rôle de Jacky Pic, désormais figé dans une culture plus populaire. Son comparse à l'écran, Franck Dubosc, sera d'ailleurs le dernier à le faire tourner dans Tout le monde debout, son premier passage derrière la caméra. 110 films plus tard, Claude Brasseur a fini par rejoindre ses trois éternels compagnons Victor Lanoux, Jean Rochefort et Guy Bedos pour une route vers le paradis promise de longue date. En soixante années de carrière, il aura prouvé que l'on peut s'affranchir de ses aînés avec élégance et pudeur sans renier son héritage, ni céder à un chemin tracé d'avance. Un itinéraire fidèle à ses valeurs, jusqu'au bout.