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Gestion de crise sanitaire : un gouvernement en pleine tourmente

Par Céline B. pour BU


Tandis que, depuis quelques jours, le plateau enregistré dans les chiffres de la pandémie et la nouvelle augmentation – légère mais significative – des cas laissaient peu de place aux doutes, les annonces du Premier ministre Jean Castex ont terni les espoirs d'une fin d'année moins restrictive que les mois écoulés. Couvre-feu avancé à 20h, fermeture maintenue des lieux culturels, soirée de la Saint-Sylvestre très encadrée malgré des rassemblements autorisés pour les fêtes de Noël … Les mesures se sont égrenées dans un mélange désormais habituel entre contradictions et incohérences, orchestré par un gouvernement jonglant de la sauvegarde de l'économie au maintien à flot du système hospitalier.


Si les restaurateurs avaient déjà été fixés sur leur sort à la fin du mois de novembre par le Président de la République, les acteurs du monde culturel, lourdement ébranlés par la crise, se sont retrouvés figés en plein vol, fauchés par un nouveau coup d'arrêt qu'ils n'avaient pas vu venir. Les voix ne cessent, depuis, de s'élever, blessées par un critère « non-essentiel », abasourdies par un tel manque de respect à un secteur investi dans les protocoles sanitaires et la protection de ses spectateurs. Largement fustigée, l'absence de Roselyne Bachelot, Ministre de la Culture, lors de la conférence de presse, n'a fait que renforcer ce sentiment de mépris à l'égard d'un milieu artistique souvent oublié des programmes électoraux et de la sphère politique toute entière.



Un capital confiance qui n'existe plus


A fortiori, l'inexistence de consultations préliminaires des partenaires est venue réveiller, une fois encore, les débats autour d'un gouvernement plongé dans la tourmente d'une tempête qui s'éternise. En pleine commission d'enquête sur la crise sanitaire, le « capital confiance » des hautes autorités, progressivement effiloché au cours de l'année, a fondu comme neige au soleil, rappelant les heures sombres du mois de mars. Face aux critiques moult fois répétées d'une absence d'anticipation, de préparation et de gestion, les comparatifs avec les décisions prises au niveau européen n'en finissent plus de pleuvoir. Entre des pays ayant tenté de limiter la propagation du virus (l'Autriche, l'Allemagne) et ceux durement touchés par l'épidémie (l'Espagne, l'Italie), la France se situe en « milieu de gamme », dans un entre-deux tenant plus de la résilience hospitalière que de l'omnipotence de l’État.


Les conclusions de la première mission d'évaluation ont ainsi loué les capacités d'une mise en place solidaire dans un secteur déjà impacté par sa propre précarisation depuis de nombreuses années. Dans toute son organisation, le réseau de santé a su s'adapter, quitte à devoir « pousser les murs » dans les services de réanimation, transférer des patients entre régions ou encore proposer l'émergence des téléconsultations. C'est, en effet, grâce à ce travail de fond et d'équipe que les pires projections ont pu être évitées en contrebalançant avec un tâtonnement dangereux de l'exécutif.


Un secteur de santé en souffrance


À l'instar des grandes institutions de santé, la France n'est pas parvenue à prendre toute la mesure de ce qui attendait le monde en 2020. Alors que le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, tout comme l'OMS, ont longuement pensé qu'une pandémie de cette ampleur n'était pas envisageable, les choses se sont envenimées à un moment où chacun imaginait que la Covid-19 suivrait les traces du SRAS (2003) ou du MERS (2012). Une erreur que chaque pays a dû assumer au prix de la situation – difficile ou non – qui était la sienne à cet instant précis.


L’État français a ainsi chèrement payé son déficit de santé publique malgré ses dix-huit agences régionales de santé et des instances comme la Haute autorité de la santé (HAS) et le Haut conseil de la santé publique (HCSP). Sans minimiser la difficulté d'affronter une épidémie sans précédent et un virus inconnu, des questions prépondérantes se posent sur des discours et des actes aussi flous que ceux entendus et vécus pendant les mois passés. Comment expliquer une prise de résolutions si tardive face à l'exemple de nos voisins européens (avec une « avance » de quinze jours pour un pays comme l'Italie) ? Une pénurie de masques, de tests et des changements de propos éreintant les esprits des français ?


Selon Bernard Jomier, médecin généraliste et sénateur, les faits sont clairs : « On est au cœur d'un dysfonctionnement. On a été moins efficace que ce qu'on aurait pu être. » Parmi ses griefs, l'absence de réunion durant toute une année de la conférence nationale de santé mais aussi les séances du Conseil de défense pour toute prise de décision, une « symbolique [qui] dit notre inculture en santé publique. » Le chercheur et sociologue Henri Bergeron s'interroge également sur la création d'un comité scientifique Covid depuis la mi-mars et le manque de diversité en son sein.


« Est-ce que ça n'aurait pas été souhaitable d'avoir un économiste, un psychiatre, un pédiatre ? […] Entre le 12 et le 17 mars, alors qu'il existait un plan de pandémie grippale, des décisions parmi les plus importantes depuis 1939 ont été prises par le Premier ministre, le président, le ministre de la Santé et un conseil scientifique, ce dernier n'étant prévu par aucun texte. Et de manière relativement indépendante d'autres structures qui auraient pu apporter des réponses. » (Henri Bergeron)

Les précédentes crises de santé telles que l'affaire du sang contaminé ou la vache folle ont, à chaque fois, relancé l'idée selon laquelle il était important de remettre la santé au cœur du débat. Mais les créations d'agences ont eu beau se succéder avec la naissance des ARS en 2010 et celle de Santé Publique France en 2016, la carence flagrante de personnels n'a pas cessé de se faire ressentir : pour exemple, Santé Publique France compte 625 agents tandis que son équivalent britannique, la Public Health England, en dénombre 5500.



Négligence(s) ou incapacité(s) ?


Dans ce contexte aussi fragile que complexe, des commissions d'enquête réalisées par l'Assemblée Nationale et le Sénat ont été ouvertes. Après six mois de recherche et quarante-sept auditions, le Sénat a placé le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, dans l’œil du cyclone. Souvent représenté comme le « funeste comptable » des victimes de la pandémie lors du premier confinement, il est mis en cause pour avoir consciemment décidé de ne pas renouveler le stock de masques chirurgicaux deux ans plus tôt. Sans concertation préalable avec la Ministre de la Santé de l'époque, Agnès Buzyn, 600 millions de masques ont ainsi été détruits après la mise en garde de Santé Publique France sur la non-conformité de la quasi-intégralité de l'approvisionnement.


« Concrètement, il a donc été décidé, subitement, unilatéralement, sans en référer au pouvoir politique, que le pays ne pourrait plus compter sur un stock massif de masques. Et ce, sans même avoir vérifié surtout que les capacités d'approvisionnement permettaient de prendre rapidement le relais en cas de crise. » (Catherine Deroche, sénatrice LR et rapporteure de la commission d'enquête)

Alors qu'Agnès Buzyn continue à affirmer que la crise n'aurait pas su être mieux gérée et prévue, on sait aujourd'hui que seuls 100 millions de masques ont été recommandés pour remplacer une réserve qui en contenait six fois plus. Elle ignorait tout autant que ceux-ci étaient périmés et que neuf mois de délai allaient être nécessaires. Le rapport de l'enquête est, dès lors, sans appel, d'autant que pas moins de 96 plaintes ont été déposées à la Cour de justice de la République contre plusieurs ministres pour « mise en danger de la vie d'autrui ou homicide involontaire ».

Tandis que l'amendement voté le 6 mai 2020 exclut la responsabilité du gouvernement ou des maires « en cas de catastrophe sanitaire [et] en fonction de l'état des connaissances scientifiques au moment des faits », la question se pose sur les suites d'une impasse qui pourrait durer encore des mois. Troisième vague annoncée après la tenue des fêtes de fin d'année et fracture sociale aggravée par la crise économique qui s'intensifie, la pandémie de coronavirus devrait persister à mettre en exergue les manquements de notre société et les priorités à revoir. Reste à savoir si elle connaîtra, pour épilogue, le soulèvement de masse qui lui est prédit ou l'apaisement généralisé à espérer.

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