Hayao Miyazaki, les 80 ans d'un génie de l'animation
Par Céline B. pour BU
Cofondateur des studios Ghibli avec le regretté Isao Takahata, Hayao Miyazaki vient de fêter ses 80 ans le 5 janvier. Entre dessin, réalisation et production, son travail a traversé les frontières et les générations pour devenir l’œuvre majestueuse d'un génie de l'animation. Avec la poésie et la sensibilité nippones en étendard.

Un esprit bouillonnant de créativité
Deuxième fils d'une famille de quatre garçons, Hayao Miyazaki voit, dès son plus jeune âge, le Japon être violemment touché par la Deuxième Guerre Mondiale. Durant son enfance, il fuit, avec ses parents et ses frères, les bombardements et déménage si souvent qu'il fréquente trois écoles différentes en six ans. Son père, Katsuji, directeur d'une société d'aéronautique, Miyazaki Airplane, détenue par son frère, lui donne très tôt la passion de l'aviation. Quant à sa mère, sa santé fragile lui inspire des personnages féminins frappés par la maladie, notamment dans Mon Voisin Totoro, Le Château dans le ciel et Le Vent se lève où l'héroïne souffre du Mal de Pott, une forme de tuberculose ostéo-articulaire.
Lorsqu'il découvre le premier film d'animation japonais en couleurs à la fin du lycée, Le Serpent blanc de Taiji Yabushita, c'est le coup de foudre : il termine le long-métrage tellement bouleversé qu'il en pleure toute la nuit. Il se met peu à peu à dessiner, principalement des avions, et embrasse le style d'Osamu Tezuka dont il est un grand admirateur. Perfectionniste et passionné, il connaît pourtant, très tôt, une crise de créativité durant laquelle il se décide à brûler tous ses croquis. Après avoir suivi des études d'économie et réalisé un mémoire sur l'industrie japonaise en 1962, il se lance véritablement l'année suivante comme intervalliste au studio Toei, et démarre son premier projet commun avec Isao Takahata, Hustle Punch, en 1965.
« Je crois que les âmes des enfants sont les héritières d'une mémoire historique universelle venue des générations précédentes. »
Si son talent et son investissement restent indéniables, les débuts sont loin d'être faciles. Il multiplie alors les collaborations et participe au film Horus, prince du soleil, à l'âge de 24 ans, aux côtés d'Isao Takahata et Yasuo Otsuka. Tandis qu'ils veulent à tout prix le réaliser, le film ne sort qu'en 1968, englouti sous les conflits créatifs et financiers. En dépit de ses qualités artistiques, c'est un échec commercial. Les années suivantes sont riches en expériences même si Hayao Miyazaki doit faire face à des producteurs frileux qui mettent plusieurs coups d'arrêt à ses projets. En 1979, il sort son premier film comme réalisateur, Le Château de Cagliostro, et rencontre Toshio Suzuki qui deviendra bientôt l'un des plus grands producteurs japonais grâce aux studios Ghibli. Pour contourner les réticences de l'industrie, il conseille et soutient Miyazaki dans ses idées : sous son impulsion, le cinéaste transforme son second long-métrage, Nausicaä de la vallée du vent, en manga publié dans Animage, un magazine sur l'animation. Élu « manga préféré des lecteurs », le film est diffusé dans les salles japonaises en 1984. Son immense succès lui permet de fonder, dès 1985, le Studio Ghibli, avec son fidèle complice, Isao Takahata.

Un artiste attaché au bien-être des futures générations
Malgré la création du studio et la reconnaissance de ses films suivants (de Mon Voisin Totoro à Porco Rosso), Hayao Miyazaki doit attendre la sortie de Princesse Mononoké en 1997 pour acquérir une notoriété internationale. Le réalisateur a alors 54 ans et commence à annoncer régulièrement son envie de prendre sa retraite face à la fatigue qui le gagne ainsi qu'à l'affaiblissement progressif de ses mains et de ses yeux. La réalité sera tout autre puisqu'il réalisera finalement quatre longs-métrages à sa suite jusqu'en 2013.
« Nous sommes arrivés à un moment de l'histoire où nous devons d'urgence redéfinir le sens de la civilisation. »
Tout au long de sa carrière, le dessinateur s'est appliqué à dépeindre les rapports conflictuels entre l'homme et la nature. Dans sa vision d'un monde imaginaire, mais toutefois plus réaliste que féerique, il veut éveiller les esprits des enfants mais aussi susciter l'intérêt et la prise de conscience de leurs parents. Prônant une curiosité perpétuelle dans des valeurs humaines de tolérance et de respect, il aime mettre en scène des personnages féminins sur la voie de l'émancipation, en quête d'elles-mêmes et déterminées à vivre une relation apaisée avec le monde qui les entoure. Dans une démarche qui tient presque de l'anti-conte de fées, il crée autant d'invitations à prendre en main son destin sans attendre le secours d'autrui.
Les films marquants d'un réalisateur perfectionniste

Mon Voisin Totoro (1988)
Deux petites filles viennent s'installer avec leur père dans une grande maison à la campagne afin de se rapprocher de l'hôpital où séjourne leur mère. Elles vont découvrir l'existence de créatures merveilleuses, mais très discrètes, les totoros. Le totoro est une créature rare et fascinante, un esprit de la forêt. Il se nourrit de glands et de noix. Il dort le jour, mais les nuits de pleine lune, il aime jouer avec des ocarinas magiques. Il peut voler et est invisible aux yeux des humains. Il existe trois totoros : O totoro (gros), chu totoro (moyen) et chili totoro (petit).
Volontairement autobiographique (le cinéaste s'inspire de la maladie de sa mère l'ayant beaucoup inquiété durant son enfance), Mon Voisin Totoro est toujours aujourd'hui le bonbon absolu de Miyazaki. Dans sa galerie de personnages d'enfants curieux et sensibles, il crée ces créatures drôles et touchantes – qui n'apparaissent qu'à la moitié du film – pour évoquer la crainte de la mort et de l'abandon. Un océan de douceur, tendre et malicieux, qui a notamment initié le logo du studio.

Kiki la petite sorcière (1989)
A l'âge de treize ans, une future sorcière doit partir faire son apprentissage dans une ville inconnue durant un an. Une expérience que va vivre la jeune et espiègle Kiki aux côtés de Osono, une gentille boulangère qui lui propose un emploi de livreuse.
Ici, Hayao Miyazaki imagine un monde où l'existence des sorcières est une évidence tolérée par toute la société. Il y suit une adolescente de 13 ans qui doit quitter ses parents pour réaliser son apprentissage dans une ville différente. Grâce à sa capacité de vol sur son balai magique, elle crée un service de livraison aérienne dans son emploi d'aide-boulangère et fait des rencontres lui ouvrant la voie de l'indépendance. Avec beaucoup de subtilité, le cinéaste capte ce moment important où une place s'ouvre à nous dans un nouveau monde en voyant progressivement l'enfant que nous étions s'effacer au profit de l'adulte.

Princesse Mononoké (1997)
Au XVe siècle, durant l'ère Muromachi, la forêt japonaise, jadis protégée par des animaux géants, se dépeuple à cause de l'homme. Un sanglier transformé en démon dévastateur en sort et attaque le village d'Ashitaka, futur chef du clan Emishi. Touché par le sanglier qu'il a tué, celui-ci est forcé de partir à la recherche du dieu Cerf pour lever la malédiction qui lui gangrène le bras.
Plus complexe que ses prédécesseurs, Princesse Mononoké s'impose comme une œuvre sombre, grandement influencée par les films de samouraïs, qui tranche avec la tendresse de ses précédents longs-métrages. Hayao Miyazaki met en scène la guerre et des affrontements parfois sanglants pour mieux faire entendre le besoin d'équilibre entre l'industrie et la nature. Avec l'envie d'échapper au manichéisme et d'amorcer une réflexion sur l'égalité des sexes.

Le Voyage de Chihiro (2001)
Chihiro, dix ans, a tout d'une petite fille capricieuse. Elle s'apprête à emménager avec ses parents dans une nouvelle demeure. Sur la route, la petite famille se retrouve face à un immense bâtiment rouge au centre duquel s'ouvre un long tunnel. De l'autre côté du passage se dresse une ville fantôme. Les parents découvrent dans un restaurant désert de nombreux mets succulents et ne tardent pas à se jeter dessus. Ils se retrouvent alors transformés en cochons. Prise de panique, Chihiro s'enfuit et se dématérialise progressivement. L'énigmatique Haku se charge de lui expliquer le fonctionnement de l'univers dans lequel elle vient de pénétrer. Pour sauver ses parents, la fillette va devoir faire face à la terrible sorcière Yubaba, qui arbore les traits d'une harpie méphistophélique.
Souvent considéré comme le film-somme de Miyazaki, Le Voyage de Chihiro n'a jamais perdu son audace, sa beauté et sa puissance au fil des années et des visionnages. Dans son envie de suivre une fillette ordinaire qui va se retrouver confrontée à un monde qui la dépasse, le cinéaste veut évoquer la perte d'émerveillement de certains enfants au cœur d'une société contemporaine aliénante. En laissant ouvertes toutes les interprétations possibles autour du film, il parvient à rendre son récit universel dans une union hybride vécue par son héroïne entre l'épreuve et l'enchantement.

Le Château ambulant (2004)
La jeune Sophie, âgée de 18 ans, travaille sans relâche dans la boutique de chapelier que tenait son père avant de mourir. Lors de l'une de ses rares sorties en ville, elle fait la connaissance de Hauru le Magicien. Celui-ci est extrêmement séduisant, mais n'a pas beaucoup de caractère... Se méprenant sur leur relation, une sorcière jette un épouvantable sort sur Sophie et la transforme en vieille femme de 90 ans. Accablée, Sophie s'enfuit et erre dans les terres désolées. Par hasard, elle pénètre dans le Château Ambulant de Hauru et, cachant sa véritable identité, s'y fait engager comme femme de ménage. Cette « vieille dame » aussi mystérieuse que dynamique va bientôt redonner une nouvelle vie à l'ancienne demeure. Plus énergique que jamais, Sophie accomplit des miracles. Quel fabuleux destin l'attend ? Et si son histoire avec Hauru n'en était qu'à son véritable commencement ?
Sans rien enlever aux réussites que sont Porco Rosso, Ponyo sur la falaise ou Le vent se lève, il convient de mettre en avant un film souvent jugé ambitieux dans sa narration et parfois confus pour certains. Pourtant, Le Château ambulant représente l'une des apothéoses de la carrière de Miyazaki tant il contient l'ensemble de ses thématiques fétiches et un souci du graphisme parfait poussé à l'extrême. Par l'intermédiaire de Sophie, mélangeant les opposés d'une vie tout en étant l'incarnation de ses moindres contours, le cinéaste imagine une fresque qui relie habilement la quête de soi-même à celle de l'autre. Il en résulte un tourbillon d'émotions qui donne à réfléchir sur le sens profond de notre existence.