Les dix livres marquants de 2020
Par Céline B. pour BU
Malgré les bouleversements engendrés par la crise du Covid-19 et son impact retentissant sur le monde culturel, la littérature s'est imposée comme un phare de résistance au milieu de la tempête. Fidèles alliés durant le premier confinement, objets « non-essentiels » miraculeusement sauvegardés au moment du second, les livres auront été un refuge, une oasis dépaysante dans la tourmente. Best of des dix romans ayant traversé cette année spéciale.

L'Anomalie, d'Hervé Le Tellier
Récipiendaire du prix Goncourt, L'Anomalie tient du roman oulipien dans son morcellement en trois parties et son exploration, en chapitres distincts, de différents genres romanesques. En huit personnages, Hervé Le Tellier s'amuse dans une intrigue « poupée russe » où ses protagonistes vont être rassemblés autour d'un même événement : une « anomalie » survenue dans un vol Paris-New York en mars 2021. Original et brillamment construit, le récit mêle fantaisie stylistique, réflexion philosophique et étude des comportements avec une aisance suffisamment impressionnante pour être appréciée et respectée.
Gallimard, 336 pages, 20 euros

Chavirer, de Lola Lafon
Trois ans après Mercy, Mary, Patty, Lola Lafon suit le parcours de Cléo, jeune adolescente passionnée par la danse qu'elle pratique dans une MJC de la banlieue parisienne. Sa vie est bientôt bouleversée par sa rencontre avec Cathy qui lui propose d'intégrer une fondation où elle devient finalement la proie de prédateurs sexuels. Sans complaisance, la romancière décrit son expérience de ses 13 ans jusqu'au démarrage d'une enquête en 2019. Plus qu'un texte sur les abus, évoqués avec intelligence et révolte, Chavirer sonde tout autant la lutte des classes que l'envie de devenir quelqu'un quand nos rêves sont étriqués par notre condition.
Actes Sud, 352 pages, 20,50 euros

Le Consentement, de Vanessa Springora
En pleine ère #MeToo, Vanessa Springora rompt, elle aussi, le silence dans Le Consentement, ouvrage autobiographique où elle raconte comment elle est tombée sous l'emprise de l'écrivain Gabriel Matzneff à l'âge de treize ans. Finement, l'autrice écrit un texte imposant, un témoignage dans lequel elle étudie la frontière entre l'extirpation d'un consentement et le viol. Dans ce regard sur la manipulation psychologique à l'égard d'une adolescente, elle s'interroge également sur l'impunité et les errements d'un milieu ayant choisi de fermer les yeux sur ses dérives.
Grasset, 216 pages, 18 euros

Betty, de Tiffany McDaniel
Encensé par les critiques, Betty est le deuxième roman de l'autrice américaine Tiffany McDaniel au sein duquel elle détaille le quotidien d'une métisse indienne au cœur des années 50. En s'inspirant de la vie de sa mère, l'écrivaine décrit, tout à la fois, le passage à l'âge adulte et les tourments d'une existence faite de racisme, de harcèlement, de discrimination mais également d'une résilience souvent émouvante. Loin de tout misérabilisme, Betty représente l'une de ces œuvres miraculées et miraculeuses (les éditeurs ont longuement été frileux à l'idée de la publier), marquées par la lumière et la personnalité d'une conteuse hors pair.
Gallmeister, 720 pages, 26,40 euros

Fille, de Camille Laurens
Que signifie réellement naître (et être) fille, puis femme ? C'est à cette imposante question que Camille Laurens tente de répondre dans ce roman d'émancipation où elle ne cache rien des difficultés intrinsèques au genre censé nous définir. De l'enfance, où l'on fait comprendre à ses parents qu'il aurait été préférable qu'elle soit un garçon, à l'adolescence, âge où les regards deviennent ceux du désir, l'autrice livre un texte poignant jusqu'à la perte de son enfant et la naissance de sa propre fille. Dans une spirale de vie, elle interroge l'évolution de nos époques et la complexité d'un monde où les mentalités peinent à avancer.
Gallimard, 240 pages, 19,50 euros

Nickel Boys, de Colson Whitehead
Comme William Faulkner et John Updike avant lui, Colson Whitehead fait partie du club très fermé des auteurs ayant reçu deux fois le prix Pulitzer. Récompensé en 2017 pour Underground Railroad, puis en 2020 pour Nickel Boys, il observe, à chaque roman, la condition des Afro-américains et le traumatisme racial qui continue à hanter leur histoire. Plongeant dans la Floride des années 1960, il explore les excès d'une maison de correction devenue lieu de torture et de désolation. Entre ellipses et travaux de détails, l'écrivain construit un récit de mémoire et de violence qui reste au plus près des faits et de ses protagonistes.
Traduit de l'anglais, Albin Michel, 224 pages, 19,90 euros

Miroir de nos peines, de Pierre Lemaitre
Troisième volet de sa saga « Les Enfants du désastre » après Au revoir là-haut et Couleurs de l'incendie, Miroir de nos peines vient clore l'épopée de Pierre Lemaitre dans les contrées françaises de 1940. Dans cette renaissance du roman-feuilleton, l'auteur déploie un style plus sec qu'à l'accoutumée sans perdre en route son lecteur, cible privilégiée d'un ouvrage d'ampleur redonnant ses lettres de noblesse à la littérature populaire. Sous l'évocation de cette guerre aux détours à la fois tragiques et burlesques, Pierre Lemaitre veut s'attacher à dépeindre l'exode et, plus subtilement, la féminité, l'obligation de la maternité et la soif de liberté. Dans un final en apothéose.
Albin Michel, 536 pages, 22,90 euros

Un long voyage, de Claire Duvivier
Premier roman de Claire Duvivier, auparavant co-fondatrice des éditions Asphalte, Un long voyage plonge dans un récit d'apprentissage inspiré par la fantasy sans toutefois obéir pleinement à ses codes. Inclassable et créative, l'intrigue accompagne un jeune fils de pêcheurs voyant un Empire s'effondrer alors qu'une nouvelle société doit être recréée sur ses ruines. L'autrice évoque un monde dont il faut redessiner les contours mais aussi des valeurs perdues et retrouvées auprès de personnages riches et enthousiasmants. Un coup d'essai remarquable.
Aux forges de Vulcain, 314 pages, 19 euros

Saturne, de Sarah Chiche
Écrivaine et psychanalyste, Sarah Chiche a insufflé son histoire à sa narratrice pour raconter la disparition de son père lorsqu'elle n'avait que 15 mois et sa construction de jeune femme sur les pavés du deuil et de l'absence. Volontiers déchirant, son ouvrage dresse un portrait poignant des blessures familiales qui viennent créer l'adulte que nous devenons et le retentissement sur l'existence qu'il faut fabriquer. Le roman est souvent douloureux, toujours brut dans sa forme, sa manière de convoquer les fantômes du passé à l'imaginaire du présent. Avec, en point d'orgue, l'idée que la création serait la meilleure solution pour transcender le chagrin.
Seuil, 208 pages, 18 euros

Il est des hommes qui se perdront toujours, de Rebecca Lighieri
Signant ses romans noirs sous le pseudonyme de Rebecca Lighieri, Emmanuelle Bayamack-Tam poursuit sa quête fougueuse et éclatante dans Il est des hommes qui se perdront toujours, une tragédie contemporaine entre polar et critique sociale. Dans son évocation du destin troublé de frères et de sœurs confrontés à la pauvreté, l'abandon ou la toxicomanie, elle n'élude aucune des épreuves réservées aux enfants dont le quotidien n'est que violence et dénuement. Plus encore, elle explique la difficile (re)construction de ceux qui se croient habités par la brutalité après l'avoir subie durant tant d'années. Un texte puissant et sombre, éloigné des lumières marseillaises sous lesquelles il brille.
P.O.L, 384 pages, 21 euros