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Sean Connery, éternel James Bond, éclectique artiste

Dernière mise à jour : 14 déc. 2020

Par Céline B. pour BU


Dix-sept ans après avoir définitivement quitté les plateaux de cinéma, Sean Connery s'en est allé dans son sommeil le 31 octobre dernier à l'âge de 90 ans. Inoubliable premier interprète de James Bond, il s'est, ensuite, imposé comme un acteur incontournable de sa génération. Portrait d'un artiste à la carrière prolifique.



Dans le mystérieux « Cercle des ambassadeurs » londonien, les têtes tournent et les jetons de casino volent autour d'une table de jeu sous haute tension. En pleine partie de baccara, Eunice Gayson, vêtue d'une robe rouge flamboyante, questionne sur son identité l'homme sans visage qui lui fait face. Tandis que la réalisation s'était jusqu'alors contentée de nous montrer ses mains et son dos, un gros plan nous révèle les traits de Sean Connery déclamant, pour la première fois, sa mythique réponse : « Bond, James Bond ». De sa cigarette tout juste allumée sur les notes du thème culte de la saga, cette seule séquence porte en elle l'ADN entier du célèbre agent secret et de l'incarnation ô combien fondatrice du comédien écossais.


Des débuts difficiles


Issu d'une famille modeste, éloignée des milieux artistiques, Thomas Sean Connery n'était pas destiné à la gloire et aux projecteurs. Né le 25 août 1930 à Édimbourg d'un père conducteur d'engins et d'une mère femme de ménage, il commence à travailler dès l'âge de huit ans pour aider ses parents après la naissance de son petit frère Neil. D'abord livreur de lait le matin et apprenti-boucher le soir après l'école, il enchaîne des petits boulots comme maçon ou, plus incongru, vernisseur de cercueils. À dix-sept ans, il arrête ses études et s'engage dans la marine britannique alors que l'équipe de Manchester United l'invite à signer un contrat d'essai. Craignant de voir sa carrière être stoppée trop tôt par le poids des années, il refuse mais doit tout de même abandonner ses projets de marin à cause d'un ulcère.


« Je n'ai eu aucune éducation. Je me suis élevé tout seul. Je le regretterai toujours. En face de vrais intellectuels, je me sens encore parfois comme un petit garçon. »

En 1951, il rencontre John Hogg qui devient son ami et lui ouvre les portes du King's Theatre. Admiratif devant ce monde qui l'étourdit, il décide de pratiquer le culturisme et se hisse dans le classement final du concours Mister Univers. L'une de ses connaissances du club l'encourage alors à postuler pour un second rôle dans la pièce de théâtre South Pacific. De cet instant, l'acteur écossais apparaît de plus en plus souvent sur les planches, puis à la télévision. Dès 1957, il se fait remarquer en remplaçant, au pied levé, Jack Palance, dans le premier rôle d'un téléfilm d'Alvin Rakoff, Requiem for a Heavyweight, où il se dévoile sous les yeux du pays. Le succès public et critique qui en ressort pousse la Fox à lui proposer un contrat de sept ans mais le soufflé retombe après des films de qualité médiocre qui apportent peu à sa carrière. D'un commun accord, leur collaboration se termine.



Un miracle nommé James Bond


Alors qu'il voit s'envoler ses rêves de carrière et peine à subsister au quotidien, la chance lui sourit à nouveau en 1961 où il triomphe de 600 candidats pour le rôle de James Bond. Les jeux étaient pourtant loin d'être faits puisque le créateur du personnage, Ian Fleming, persuadé qu'il ne possède pas le style d'un gentleman, ne veut pas entendre parler de lui et lui préfère la carrure de Cary Grant. S'il bénéficie du soutien du producteur Albert R. Broccoli, l'anecdote raconte que l'énervement suscité par leur hésitation aurait plongé Sean Connery dans une profonde colère, qui, assénant aux deux protagonistes « Vous me prenez comme je suis ou vous ne me prenez pas ! », les auraient convaincus qu'il était la bonne personne pour le rôle. À cette époque, James Bond n'est encore qu'une petite production considérée comme risquée et le choix d'un acteur inconnu du grand public représente une décision lourde de sens pour l'industrie.


À la sortie de la première du film, Ian Fleming se dit « impressionné » par sa prestation ténébreuse et flegmatique tandis que les aventures de l'agent 007 se transforment en saga à succès. Un coup de poker payant où cinq films réalisés à une année d'intervalle s'enchaînent pour l'acteur, de 1962 (James Bond 007 contre Dr No) à 1967 (On ne vit que deux fois). Loin d'être grisé par la gloire, Sean Connery finit pourtant par se lasser des gadgets et des scénarios répétitifs qui lui sont proposés : attiré par d'autres projets, d'autres envies, il ne veut pas s'enfermer dans un costume dont il ne pourra plus se défaire. Ses premières collaborations avec Alfred Hitchcock (Pas de printemps pour Marnie) et Sidney Lumet (La Colline des hommes perdus) lui donnent raison et il préfère abandonner le personnage de James Bond.



Le tournant d'une carrière


Le destin est toutefois capricieux, et, après avoir cédé le rôle de 007 à George Lazenby dans Au service secret de sa majesté en 1969, les producteurs l'implorent de revenir en 1971 pour Les Diamants sont éternels. Ce sera son ultime interprétation dans un film « officiel » de la franchise : en parallèle, Sean Connery a déjà la tête ailleurs, engagé dans une relation fructueuse avec Sidney Lumet qui lui fait confiance et transcende ses possibilités d'acteur. Ensemble, ils tournent quatre films après La Colline des hommes perdus : Le Gang Anderson (1971), The Offence (1973), Le Crime de l'Orient-Express (1974) et Family Business (1989). Dans le bijou noir The Offence, notamment, le réalisateur pousse le comédien écossais hors de sa zone de confort en lui offrant un rôle brutal de policier en fin de carrière lancé sur les traces d'un tueur pédophile. Longtemps interdit, le film ne sera visible en France qu'à partir de 2007.



En quête de réinvention, l'acteur casse définitivement son image la même année dans Zardoz réalisé par John Boorman, nanar ou film culte d'une génération, où il est propulsé sur une Terre réduite à néant en 2293. Dans un simple slip rouge et des bretelles à cartouches assorties, il y explore les tréfonds du kitsch et de l'absurde, pour le meilleur et pour le pire. Deux ans plus tard, John Huston réalise enfin un rêve vieux de vingt ans en adaptant la nouvelle de Rudyard Kipling, L'Homme qui voulut être roi, où il invite Sean Connery et Michael Caine à le rejoindre dans ce qui restera l'un des sommets de leurs filmographies respectives. Il rencontre d'ailleurs, sur le tournage, sa seconde épouse, Micheline Roquebrune, avec laquelle il vivra jusqu'à sa disparition. Après avoir incarné Robin des Bois aux côtés d'Audrey Hepburn dans La Rose et la Flèche en 1976, le comédien entre ensuite dans une période compliquée où les rôles ambitieux vont se raréfier tandis ses projets connaissent des échecs commerciaux (Meteor).



Une page se tourne : un mentor est né


Mais l'ombre de James Bond ne plane jamais très loin et, après avoir connu de nombreuses frustrations devant les intrigues superficielles qui lui étaient proposées, il accepte une dernière apparition sous les traits de 007 dans Jamais plus jamais. L'épisode, réalisé par Irvin Kershner, est créé après la victoire judiciaire du scénariste Kevin McClory contre Ian Fleming et, même s'il est considéré comme un volet non-officiel de la série, il réconcilie Sean Connery avec le personnage. Dans la peau d'un héros vieillissant, il fait tomber, pour de bon, le rideau sur cette page importante de sa vie en lui insufflant la profondeur qu'il avait toujours voulu personnifier.


Les années suivantes sont plus difficiles, si bien que Sean Connery arrête de tourner pendant deux ans. C'est Jean-Jacques Annaud qui lui remet finalement le pied à l'étrier en le choisissant, sous l'insistance du comédien, pour le rôle emblématique de Guillaume de Baskerville. En se défendant bec et ongles face à l'auteur du Nom de la Rose, Umberto Eco, convaincu qu'il représente un mauvais choix, et des distributeurs frileux, il fait mentir les esprits timorés avec l'une de ses plus grandes performances, justement récompensée par le BAFTA du meilleur acteur. Véritable point de bascule de sa carrière, le film l'entraîne vers une série de personnages plus matures où il devient une figure paternelle absolue et bienveillante, notamment dans Highlander où il joue le mentor de Christophe Lambert.



Une reconnaissance tardive de ses pairs


Bien que tardive, la reconnaissance de la profession arrive enfin après sa collaboration avec Brian de Palma dans Les Incorruptibles. Parfait dans cette grande épopée où il affronte Al Capone (joué par Robert de Niro), il obtient son unique Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, ainsi que le Golden Globe dans la même catégorie. En 1989, il impose son empreinte dans la saga Indiana Jones en incarnant, avec humour et malice, le père du héros (bien qu'il n'ait que douze ans d'écart avec Harrison Ford) dans Indiana Jones et la Dernière Croisade. Après À la poursuite d'Octobre rouge en 1990, les films plus confidentiels (La Maison Russie) ou moins passionnants (Haute Voltige) se succèdent jusqu'à sa rencontre avec Gus Van Sant pour À la rencontre de Forrester.



« Plus que tout, j'aimerais devenir un vieil homme avec une belle tête. Comme Hitchcock ou Picasso. Ils ont travaillé dur toute leur vie, mais ils ne montrent aucune lassitude. Ils n'ont pas perdu un seul jour avec toutes ces absurdités qui peuvent envahir une existence. Ils savent que la vie est plus qu'un stupide concours de popularité. »

Pour ce rôle, le réalisateur d'Elephant lui redonne toute sa superbe en lui faisant interpréter un romancier qui disparaît suite à la publication de son premier roman. On ne le sait pas encore mais ce sera l'avant-dernier film de l'acteur qui décide de prendre sa retraite après le tournage de La Ligue des gentlemen extraordinaires de Stephen Norrington en 2003. À la fois producteur et acteur sur le projet, il est très impacté par l'échec du film et, malgré de nombreuses sollicitations, choisit de ne jamais revenir sur les écrans de cinéma.



En cinquante années de carrière et soixante-quatre films, Sean Connery s'est employé à construire un parcours riche, éclectique et mené par l'ambition. Perfectionniste et exigeant (il refuse les rôles de Morpheus dans Matrix et de Gandalf dans Le Seigneur des anneaux), celui qui fut anobli par la reine Élizabeth II en 2000 pour services rendus au cinéma britannique a toujours fait honneur à ses origines en soutenant, de manière indéfectible, l'indépendance de l’Écosse. Plus que l'interprète de James Bond, auquel il serait injuste de le réduire, il était surtout l'image d'un homme et d'un artiste qui voulait fuir la misère, trouver sa voie et sans cesse se réinventer. Dans un goût de l'effort et de l'audace suffisant pour apposer à jamais sa marque sur grand écran.

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